Jean-Sébastien-Bach – un prénom pas facile à porter – déambulait sans but précis dans l’univers aseptisé et de plus en plus surréaliste du Forum des Halles.
Il sortit machinalement un mouchoir de sa poche et s’essuya distraitement le front. Dans trois jours, ce serait Noël. Mais qui se préoccupait de Noël dans l’état actuel des choses ? Quand France Info venait d’annoncer, avec un certain scepticisme interloqué, qu’il faisait ce matin-là 30° à Paris ? Chaînes de télévision et stations de radio avaient répandu dès l’aube ce que chacun pouvait constater de visu : l’hiver était devenu fou !
Le Grand Artisan de l’Univers avait-il subitement eu envie de faire une bonne blague, histoire d’apprendre aux Hommes à retrouver un peu de bon sens ? Nul humain, en tout cas, n’y comprenait goutte. Les spécialistes de renom, comme l’épicier du coin, émettaient mille suppositions, toutes aussi peu vraisemblables les unes que les autres et qui, de toute façon, restaient à l’état d’hypothèses.
Dès l’aube, après une nuit de malaise imprécis, les premiers lève-tôt de la capitale avaient ouvert leurs volets sur une ambiance purement tropicale. Une stupéfaction hébétée s’était aussitôt emparée de la ville. Le ciel était bas et une chaleur aussi inexplicable qu’accablante planait.
En moins de temps qu’il n’en fallut pour le dire, le comportement des gens se modifia aussi radicalement que la saison. Cette anomalie avait secoué l’apathie devenue naturelle des dernières décennies. Avant sept heures du matin, la foule mal réveillée et hallucinée avait déjà envahi les rues. Fébrile comme une fourmilière désorganisée, son étonnement palpable lui donnait quelque chose de plus humain que d’habitude.
Une semaine s’était écoulée et Jean-Sébastien-Bach était assis à une terrasse de café au troisième sous-sol. Les ventilateurs tournaient à plein régime sans réussir réellement à rafraîchir l’atmosphère. Le serveur s’avança nonchalamment et le gratifia d’un sourire complice « Vous avez vu ça ? C’est pire qu’hier ! Sûr qu’on doit pas être loin des 35 ! »
Bien sûr, il fallait entendre 35 degrés, les Celsius étant devenus le seul sujet de conversation, laissant loin derrière les attentats ou même la Covid. Jean-Sébastien-Bach hocha la tête. Ma foi, ça valait bien la politique, se dit-il philosophiquement. Même s’il aimait à se faire croire que tout changement était bienvenu, en réalité le moindre chamboulement touchant à son schéma affectif le déstabilisait terriblement. Mais cette anomalie atmosphérique loufoque stimulait aussi son âme rebelle d’artiste et ravivait ses rêves de tomber nez à nez avec un petit Martien vert ou tout autre extraterrestre potentiellement prometteur.
Il laissa le serveur continuer son monologue climatique, ponctué de délires pseudoscientifiques, avec la convivialité envahissante des garçons de café. Il avala sa bière presque d’un trait et, après une très brève hésitation, en commanda une deuxième. Qu’il but tout aussi vite… Force était d’admettre qu’il avait un léger penchant alcoolique. Ça ne le dérangeait pas particulièrement. Voilà bien longtemps qu’il avait admis l’idée d’adoucir ses problèmes, à défaut de les résoudre, en éclusant quelques verres.
Il n’essayait même plus de lutter contre la chaleur suffocante. Il ne voyait pas vraiment pourquoi ce dérèglement climatique bouleversait à ce point ses contemporains. Que la frayeur d’un début d’apocalypse réveille en l’Homme la terreur ancestrale de la fin du Monde, il pouvait l’admettre. Non, ce qu’il ne pigeait pas c’était plutôt le fatalisme ambiant. La planète à feu et à sang, les génocides, féminicides, attentats sanglants justifiés par tous les fanatismes imaginables, ou le massacre des forêts et des océans, provoquaient à peine un haussement de sourcil chez ses concitoyens. C’était cette folie-là, si couramment admise, qui lui paraissait ahurissante tout comme l’acceptation de l’invasion des fake news pendant que s’amenuisaient les libertés.