Anacoluthe. Longues heures durant toutes studieuses, yeux rivés à ces pages par lesquelles se distinguent nos lettrés les plus fameux, certains n’aiment rien tant qu’y scruter les usages qui se font de leur langue. Individus au front soucieux de science, loin de l’image que l’on se ferait d’eux, l’examen prend ici les airs d’une transe fiévreuse. Ils sont collectionneurs, mais ce n’est là encore qu’une part du métier qu’ils ont fait leur. Car analyser, décomposer, disséquer, et tout cela pour mieux décrire, définir et classer ce dont ils auront su faire recueil, tel est enfin leur ambitieux dessein. Des spécimens qu’ils tiennent sous leurs mains, ils se veulent les ultimes connaisseurs. Gens patients, faits limiers pour mieux glaner, les voilà promus docteurs es « procédés littéraires » (puisque dès lors convient-il de nommer les objets dont ils auront enfin éclairé la nature). C’est chez ces savants, doués d’érudites expertises et grands professionnels de l’art d’écrire aussi bien que des artifices qu’on lui doit, que se trouve trace de l’anacoluthe. Celle-là, sans enfreindre les sacro saintes règles dont la syntaxe exige qu’on les respecte – pour peu que l’on tienne à construire quelque énoncé dit correct –, celle-là donc, sans constituer une infraction, consiste bien néanmoins en une forme de contravention. La structure phrastique, de type classique, se voit en effet par elle malmenée.
Deux approches sont concurrentes pour la circonscrire. Ainsi, tandis que les tenants de l’une prononcent qu’il y a anacoluthe dès lors qu’est introduite dans la phrase une manière de rompre avec le schéma prévu pour la bien bâtir, ceux qui quant à eux préfèrent l’autre avancent que l’anacoluthe se reconnaît à ceci qu’il y a élision (dans les termes logiquement commandés d’apparaître, quelques-uns sont tus, non sans que l’on devine toutefois et assez aisément quels ils sont, de sorte que la compréhension ne se voit pas là menacée).