Le commandant vient de faire entrer un drôle de type dans son bureau. Profil d’oiseau empaillé, cheveux longs tirés en arrière. Trafiquant ? Fraude fiscale ?
Asseyez-vous, inspecteur. Voulez-vous un café ?
Ah zut, c’est un flic ! Un inspecteur, en plus. Police judiciaire, c’est certain.
Il a soif votre ficus, dit l’inspecteur.
Enfin quelqu’un qui s’intéresse à moi.
Mon quoi ? Ah, la plante là dans le coin ? On m’a dit qu’il ne fallait pas l’arroser trop souvent.
Oui, ben, il ne faut pas l’assoiffer non plus.
En disant ça, il se lève, prend la bouteille d’eau minérale sur le bureau du commandant et, sans lui demander son avis, verse une rasade dans mon pot. Que ça fait du bien ! Mon estime pour l’humanité en général et la police judiciaire en particulier vient de remonter d’un cran.
Le commandant Costa le regarde effaré, puis, ce qui est rare, laisse transparaître un soupçon de sourire.
Faites comme chez vous, inspecteur.
L’inspecteur apprécie la remarque sarcastique du commandant et se rassied en regardant autour de lui. Il n’y a pas grand-chose à voir. Des murs blancs, une fenêtre à barreaux, deux armoires métalliques, un bureau et trois chaises. Ah oui, et dans un coin, il y a moi, la plante, comme vient de m’appeler ce cher Costa alors que, scientifiquement parlant, je suis un arbre.
Bon, on fait le point de la situation, commandant ?
Ils allument chacun leur cigarette et Sandomar sort un bloc-notes et un crayon de sa poche.
Alors, nous avons deux victimes. António Guerra, 30 ans, célibataire, constructeur civil, et Mariana Fontes, 31 ans, célibataire, sans profession. Les corps ont été découverts vers sept heures du matin par Artur Constâncio, 67 ans, retraité. Monsieur Constâncio a immédiatement contacté la Garde Nationale Républicaine. Le sergent Ramiro est arrivé sur le lieu du crime à huit heures vingt. Le lieutenant José Costa, commandant du poste d’Alcastrel, contacté par radio, a averti la Police Judiciaire vers neuf heures, laquelle a décidé d’attribuer l’enquête à l’inspecteur Júlio Sandomar, arrivé sur le lieu du crime à dix heures quarante, où se trouvaient déjà le lieutenant Costa, le sergent Ramiro et Artur Constâncio. La Police Scientifique et le Docteur André Matias sont arrivés sur le lieu à treize heures vingt. Vers seize heures, les deux corps ont été transportés à l’Institut Légal de Beja où auront lieu les autopsies, effectuées par le Docteur Matias. Entre-temps, le lieutenant Costa s’est déplacé à Ourique où il a confirmé l’arrivée du frère du défunt, Pedro Guerra, la veille des crimes. Vers trois heures, le corps de Pedro Guerra a été retrouvé à l’étang des mules, apparemment en état de coma éthylique. Ses habits étaient tachés de sang. Deux bouteilles de spiritueux, retrouvées vides, présentaient aussi des traces de sang. Pedro Guerra, qui a été conduit à l’hôpital de Beja, devient donc le principal suspect des meurtres.
L’inspecteur referme son carnet et regarde sa cendre de cigarette prête à tomber sur le plancher. Costa pousse le cendrier avec la pointe des doigts.
Merci. En résumé, c’est ce que nous avons. Vous voulez ajouter quelque chose ?
Les cigarettes. Les fameuses cigarettes belges.
Ah oui, les Belgas. Vous avez raison. Actuellement, c’est la preuve la plus accablante que nous possédons contre lui. Dites-moi, Costa, vous le connaissiez ce Pedro Guerra ?