Où je vis, tout à côté et partageant presque mon toit, un incinérateur trouve logis. On se figurerait sans doute et volontiers qu’il en soit autrement, mais de ce lieu voué, selon le terme consacré, aux crémations, la fumée qui souvent est menée à s’en échapper est sans odeur – peut-être, qui sait, afin de mieux en douce filer droit vers les basses hauteurs de la sphère et offrir là, en cet étage sis en deçà mais tout à l’orée des nuages, à ses mouvants signaux de venir se loger. Quoi qu’il en soit, cette gracile suspension, de tout parfum pure et jamais parée que de sa blancheur de fumée, tant qu’elle me laisse l’apercevoir, je ne puis dire mon home, ce doux chez moi, éloigné. Un seul regard que je lève au ciel chaque fois suffit. Il est ici mon foyer, meublé modeste qui pourrait néanmoins se vanter, si tel était toutefois son caractère, de fournir, et cela sans frais supplémentaire pour celui-là qui l’occupe, force chaleur à son locataire (qui, certes, n’en demande pas tant, particulièrement en été).
Sous mes fenêtres, beaucoup de veuves, des veufs en moindre nombre (en raison d’une inégalité face à la longévité qui continue encore de discriminer les sexes après des millénaires, soit, approximativement, depuis l’apparition des premiers hominidés), quantité d’orphelins (masculins et féminins à parité, car le partage fut là équitable), des frères et des soeurs éplorés (les concernant, voir les précédents pour ce qui touche à leur répartition), quelques amis attristés (dont la quantité diffère selon le degré de sociabilité du défunt), des familles défaites (leur nombre, quant à elles, dépend du taux de fécondité des consanguins), des solitaires discrets (amants et maîtresses peut-être), des proches et des collègues, de vagues connaissances et des curieux (gens, sur le compte desquels il serait fastidieux de s’étendre) ; bref, sous mes fenêtres, plus que souvent paraît tout un peuple de fête, dans le genre noir cela s’entend.
La ville est grise et le convoi sombre. Ils ont perdu un des leurs, ceux-là que, pour certains, j’accueillerai en ma demeure. Les vivants s’en vont en pleurs, je me tiens souriant et dispose dans mon appartement quelques fleurs, cadeau de bienvenue aux nouveaux arrivants.
Oui, on a bien entendu et c’est là en vérité que commence tout l’étrange de l’affaire à relater.